Mon expérience de Vipassana

Auteur : Julie Baudin

Méditant de dos

J’ai effectué une retraite de méditation Vipassana de 10 jours du 26 juillet au 6 août 2023.

Dépourvue de tout outil de communication (téléphone), objet de distraction (livres, jeux) et d’introspection (carnet de notes, stylo) durant ce séjour, je partage mon expérience a posteriori.

Ce témoignage est basé sur les souvenirs que j’ai de ces dix jours hors du temps et de l’espace, souvenirs qui sont indéniablement émaillés par plusieurs semaines de « retour » à la vie quotidienne. Il n’est ni une description ni un commentaire de l’enseignement en tant que tel. L’essence de mon expérience, qui se trouve au cœur de mon ressenti, de mes observations intérieures, de mes réflexions, est à retenir plutôt que les détails extérieurs d’ordre temporel, matériel et logistique.

JOUR -1 – Arrivée sur le lieu de la retraite.

J’arrive, une petite boule au ventre à l’idée de me retirer du monde pendant 10 jours. J’ai passé mes derniers appels téléphoniques depuis ma voiture, sur un parking à une dizaine de kilomètres du lycée agricole de Tonneins, où nous sommes accueillis pour la retraite. J’ai parlé à ma fille de 9 ans, qui est au Pérou avec son papa, et à mon compagnon, resté à la maison, en Auvergne. Je les sais hors de ma portée physique malgré leur forte présence dans mon esprit. L’illusion d’avoir un quelconque contrôle sur ce qu’ils vivent se dissipe doucement depuis quelques jours. Je me sens prête à déposer tout ce qui me relie à eux, au monde extérieur, pour tourner l’entièreté de mon regard vers l’intérieur.

Après les formalités administratives d’enregistrement à la retraite, je remets aux bénévoles de la fondation mon téléphone et mes clés de voiture avec tout le détachement dont je me sens capable. Je remercie intérieurement la vie de me permettre de vivre une telle expérience aujourd’hui, sans besoin de m’isoler dans une cabane au fin fond de la forêt ou au milieu d’un désert. Pendant dix jours, je serai nourrie et logée, n’ayant à me préoccuper que de mon hygiène corporelle et vestimentaire. Munie de ma petite valise, je rejoins le dortoir où je partagerai ma chambre avec deux autres femmes, et m’installe sur l’un des trois lits disponibles. De la fenêtre, j’aperçois une immense serre où poussent plusieurs espèces végétales potagères. La nature est à portée de regard, et bien qu’il s’agisse d’une nature domestiquée, cela me réconforte de la sentir si proche.

Dans les couloirs du lycée et de l’internat, hommes et femmes discutent, échangent, rient. Je ne peux m’empêcher de m’interroger sur les nombreux panneaux scotchés aux murs précisant les délimitations des espaces selon le genre de chacun. Cela est-il pertinent, dans le monde d’aujourd’hui, de séparer les femmes des hommes, comme on le faisait jadis dans les monastères ? La question plane dans mon esprit, ne cherchant pas réellement de réponse. Un état de neutralité m’est demandé pour aborder cette expérience « au présent ». Je le sais, je le sens.

À chaque visage croisé, un sourire échangé, un bonjour, une marque de reconnaissance : « Je te vois, je ne te connais pas, mais nous allons vivre ensemble, dans le même espace-temps, une expérience transformatrice ». L’envie de parler, de se rencontrer, est forte et anime un grand nombre d’entre nous. Je fais la connaissance de J., l’une de mes colocataires. Nous rions d’être baptisées du même prénom. Cela facilite les présentations : nous sommes, par raccourci, de la même génération. Immédiatement, nos atomes crochent et nous amènent à une longue conversation chapeautée par le tic-tac du silence annoncé. À 20h, nous ne pourrons plus ni nous adresser la parole, ni communiquer d’une quelconque façon (regard, geste, sourire). Alors, nous nous délectons dans ces instants d’échanges à résumer en quelques phrases ce que nous pensons être de par nos choix de vie, nos envies, nos rêves, ce qui nous a menées à effectuer cette retraite. J’aime la douceur et la gentillesse de J., sa curiosité, son sens de l’écoute. J’éprouve beaucoup de gratitude pour cette rencontre qui se poursuivra silencieusement pendant les neuf prochains jours et se renforcera au rythme du ballet de nos corps physiques dans la danse minutieusement chorégraphiée de cette existence quasi-monastique.

Juste avant le diner, nous rencontrons V., notre 3e colocataire. Pas question de laisser passer l’occasion de la découvrir, de l’accueillir par nos plaisanteries, nos questions, marque d’une curiosité presque nécessaire avant la proximité imposée par notre retraite.

L’heure du repas est proche : un brouhaha de discussions et de rires empli le hall d’entrée du lycée. Bientôt, hommes et femmes se sépareront pour rejoindre le réfectoire, divisé en deux parties séparées l’une de l’autre par une longue succession de pièces de tissu. Après 20h, toutes les conditions seront rassemblées pour éviter tout contact verbal, physique ou visuel entre hommes et femmes. Nous nous dirigeons vers nos tables, munies d’un numéro de place qui nous a été confié au moment de notre enregistrement. Nous sommes, pour la plupart, assises en quinconce, afin de n’avoir personne en face de nous au moment des repas. Mon regard croise celui de mes voisines les plus proches : M., C. et N. Nul besoin de plus pour déclencher une avalanche de paroles entre nous. M. et moi poursuivons, après le diner et le discours de présentation, notre découverte mutuelle dont les rouages nous mènent vers des lieux, des modes de vie, des aspirations communes. Le tic-tac poursuit sa course. Devant la grande salle de méditation, le brouhaha se dissipe lentement. Nous échangeons nos derniers mots, quelques points de logistique entre colocataires, nos derniers sourires et nous excusons déjà pour le silence et l’indisponibilité à venir. Ce dernier point me coûte.  Le gong sonne. Silence est fait pour les neuf prochains jours.

Julie Baudin

Champeix, 63

4 Comments
  1. Merci Julie pour ton partage d’expérience très inspirant !
    C’est merveilleusement bien écrit !

  2. Merci Cécile, pour ton retour ! Je suis heureuse que cela te parle !

  3. Un grand merci, Julie, pour ce précieux partage.

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